dimanche 12 décembre 2010

Une demande en mariage (2/3)

  Dix-neuf heures cinq. Il se servit un verre de whisky et s’assit dans l’un des fauteuils du salon sans allumer la lumière. Il n'en buvait jamais, mais il se dit que pour un moment si exceptionnel, il pouvait déroger à sa sobriété habituelle. Assis dans le salon, il se mit à penser à leur relation. Dans quelques jours, cela ferait quatre ans qu'ils se fréquentaient. Il en avait longtemps eu l'intuition, mais depuis peu il savait que c'était elle, il en avait l'intime conviction. Ce soir serait le grand soir. Il avait hésité à réserver une table dans le restaurant qu’ils aimaient, là où ils avaient dîné pour la première fois ensemble. Rien de luxueux, un petit bouchon sans prétentions. Il avait finalement rejeté l'idée, ne se sentant jamais très à l’aise en public. Pour ce soir, il préférait le décor rassurant de leur petit appartement. Il se disait que la simplicité n’avait jamais fait de mal à personne même pour un événement aussi important que celui-ci.
  Dix-neuf heures dix. Cécile, il avait appris à la connaître, à aimer les habitudes du quotidien qu'il lui avait découvert. Souvent, lui qui avait le sommeil léger, il la regardait, endormie à ses côtés. Il avait du mal à décrire la tendresse qui s'emparait soudain de lui lorsqu'il la contemplait dans ces moments-là, si belle, si fragile. Il aimait sa façon de se serrer contre lui quand ils allaient au cinéma et le fait qu'elle laisse échapper ses larmes dès que le film se mettait à jouer sur le registre des sentiments. Souvent, quand il rentrait le soir, avant qu'elle n'arrive, il trouvait de petits mots doux qu'elle avait laissé pour lui avant de partir, tel un jeu de piste.
  Dix-neuf heures quinze. À présent, il était euphorique, il sortit de la poche de sa veste une petite boîte de velours, il l'ouvrit pour regarder encore la bague qu'il avait acheté. L'anneau en or blanc et le diamant qui le surmontait. Il considéra un moment avec admiration l'éclat de la pierre. Il y avait passé une bonne partie de ses économies, mais il fallait une bague à la hauteur de son amour pour elle. Il était au comble de l'excitation. Il se savait à l'aube d'un événement, en soit si vite passé, et qui pourtant, par ses conséquences gigantesques allait tout bouleverser sur son passage. Que pouvait-elle bien faire ? Non, il ne fallait pas qu'il soit impatient, il savait qu'en se dépêchant, elle aurait pu déjà être là, mais elle aimait prendre son temps et s'il restait du travail, consciencieuse, elle ne le remettait jamais au lendemain.
  Dix-neuf heures vingt. Cécile. Ce qu'il pouvait l'aimer ! Mais elle ? Au fond, l'aimait-elle autant que lui l'aimait ? La question, comme un invité impromptu, venait de paraître dans son esprit. Depuis presque deux ans qu'ils vivaient ensemble, les preuves de son amour pour lui n'avaient pas manqué. Les choses s'étaient certes un peu calmées, mais il était heureux et elle aussi. Elle ? Au moins, elle en avait l'air. Cependant, il ne pouvait nier qu'elle passait de plus en plus de temps avec ses amies et qu'il était, de facto, exclu de ces rencontres "entre filles". Ces derniers temps, son travail l'avait absorbé de plus en plus, et leur intimité s'était vue réduite par ses horaires élargis et la fatigue qu'ils avaient entraînés. Il arrivait qu'il rentra le soir et qu'elle soit déjà couchée, ou alors de sorties avec ses amies. Non ! Il divaguait. Il y avait encore de nombreux soirs où elle l'attendait chez eux, devant la télévision ou lisant un livre. Ces soirs-là, il arrivait, elle le serrait dans ses bras et ils faisaient l'amour comme aux premiers jours. Ce n'était qu'un nuage noir qui passait dans son esprit. 

mercredi 10 novembre 2010

une demande en mariage (3/3)

  Pourtant, ces deux derniers mois, ce genre de soirées s'étaient comptées sur les doigts d'une main. Sa meilleure amie étant de nouveau célibataire, pour la soutenir, Cécile sortait souvent avec elle et d'autres jeunes femmes. Il avait du mal à comprendre pourquoi il en était exclu. Cela le frustrait parfois. Il se demandait bien ce qu'elles pouvaient se dire ou faire au cours de ces soirées. Il ne la soupçonnait pas, mais il avait du mal à réfréner sa curiosité. Elle lui racontait toujours ses soirées, mais peut-être ne disait-elle pas tout. Peut-être revoyait-elle certaines personnes. Après tout, cela n'était pas à exclure. Il y a six mois, son ex-fiancé était revenu en ville, ils avaient dîné un soir tous les trois. Il travaillait pour la télévision, pour une émission courte tournée dans la région et qui avait connu un succès fulgurant sur une chaîne nationale. Il côtoyait des gens célèbres, gagnait beaucoup d'argent, il avait de la conversation et de l'humour. Tant de choses que, parfois, il doutait d'avoir. Il laissa son imagination sortir de sa cage. Cette pensée, l'imaginer, elle, avec lui, déclencha en son sein un sentiment d'affolement ainsi qu'une vive douleur que la simple imagination ne pouvait être seule à expliquer.
  Dix-neuf heures vingt-cinq. À présent, tous ses doutes s'étaient envolés, c'était la seule solution. Il fallait vraiment qu'il le fasse ce soir. C'était clairement le seul moyen pour qu'elle reste avec lui. Après tout, elle l'aimait. Le seul moyen de sceller leur union et de faire disparaître toutes ses craintes. Ils seraient unis l'un à l'autre à jamais, devant les hommes et devant Dieu. Tout était prêt.
  Dix-neuf heures trente… Dans le silence de l'appartement plongé dans le noir, il entendit le bruit de l'ascenseur qui se mettait en marche. Un instant plus tard, une clé fit jouer les verrous et la porte s'ouvrit.      "Chéri, tu es là ?" ; "Je suis là, mon amour."
  "Mais qu'est-ce que tu fais dans le noir ? Elle alluma une lampe. Il avait déjà quitté son fauteuil. Il apparut doucement dans l'entrée. La lumière lui fit mal aux yeux. Accoutumé, il s'approcha et la regarda. Elle avait les cheveux mouillés. Il la trouvait encore plus belle, emprunte d'une certaine fragilité. Elle avait froid et avait besoin de se changer. Il la désirait encore plus, de plus en plus. Quelque chose le retenait ; "Tu n'avais pas de parapluie ?"
  Elle lui sourit, un regard plein de complicité et d'amour réciproque. "Il s'est cassé. J'aurais pu prendre le metro, mais je voulais marcher. Tout va bien ?" ; "Oui. Je réfléchissais. Je t'aime." ; "Moi aussi." ; "Je t'aime plus que tout." Il l'embrassa en la serrant contre lui. Elle était toute chaude sous son manteau détrempé. Il lui passa les mains dans les cheveux.
  "Je t'aime Cécile, qu'est ce que je peux t'aimer." Ses yeux à elle étaient pleins d'amour et de confiance en lui. Alors qu'il répétait ces mots, ses mains glissèrent de ses cheveux pour se mettre autour de son cou. Elle sourit. "Tu as les mains froides". 
  Puis tout en répétant qu'il l'aimait il commença à resserrer ses mains autour de sa gorge, serrant de plus en plus fort. L'incompréhension et la peur passèrent dans les yeux de la jeune femme. Elle essaya de se débattre mais il était plus fort qu'elle. Il ne cessait de répéter qu'il l'aimait plus que tout et que rien ne pourrait les séparer. Après quelques instants de vains efforts, elle s'effondra, sans vie, dans l'entrée de l'appartement. 
  Il alla ensuite dans la salle-de-bains. Il mit le bouchon du lavabo et laissa couler l'eau chaude. Il sortit soigneusement de son étui le rasoir à main qu'il tenait de son grand-père et examina la lame brillante. Il remonta les manches de sa chemise précautionneusement, une à une et plongea son avant-bras gauche dans l'eau. D'un coup sec, il effectua une entaille profonde au niveau du poignet. Sa blessure lui permit tout de même de réitérer l'opération sur l'autre bras. Il regarda l'eau se teinter doucement de rouge et au bout d'une minute il commença à sentir ses forces l'abandonner ce qui l'obligea à s'asseoir sur le rebord de la baignoire pour maintenir ses mains dans l'eau. Il pensait à elle, encore quelques instants et ils seraient finalement réunis, sans personne pour se mettre en travers de leur amour. La tête lui tournait, il commençait à avoir froid. Après trois minutes à se vider de son sang, il perdit connaissance. Dans sa chute, sa tête heurta le rebord du lavabo. Il atterrit sur le linoléum de la salle de bains, recroquevillé sur lui-même, un large sourire dessiné sur ses lèvres.

mercredi 27 octobre 2010

Vous ne savez pas qui je suis (1/3)

A Mr Wall.

L'adjudant Jean Maurat avait pris son service à la gendarmerie de Chastel Montferrat depuis trois jours. Originaire du Nord, il n'avait jamais mis les pieds dans l'Allier avant cette nouvelle affectation. Grand et bien bâti, son large front et son nez cassé lui donnaient l'air d'un bélier. Terrien était un adjectif qui le qualifiait bien. Joueur de rugby amateur depuis son adolescence, c'était un sportif accompli et un motocycliste passionné. C'est donc naturellement qu'il choisit la brigade motorisée, "les aigles de la route" comme les collègues les surnomment. En ce mois d'octobre, il allait vers ses vingt-sept ans.
Ce dimanche soir, sur le coup des vingt-deux heures, le gendarme Denis Lavrot et lui s'étaient postés depuis un quart d'heure sur une transversale de la nationale 108, non loin de Morizon. Les automobilistes éméchés prenaient souvent cette route peu fréquentée, aussi n'était-il pas rare qu'ils finissent leur service en passant par là.
Ainsi arrêté sur le bas-côté, Lavrot avait retiré son casque et fumait une cigarette, jetant un coup d'œil nerveux de temps à autre à son téléphone portable.
- Tout va bien ? Vous avez l'air tendu demanda l'adjudant Maurat.
- Pardonnez-moi, c'est ma femme, elle vient de perdre les eaux, mon frère la conduit à l'hôpital… 
Maurat l'interrompit :
- Ça va Lavrot, allez retrouver votre femme. Notre service prend fin dans vingt minutes, un dimanche soir, je dois pouvoir survivre dans votre Lozère sans chaperon. Ne vous inquiétez pas, ils ne vous feront pas d'histoires.
Il hésita un instant :
- Merci mon adjudant.
Lavrot jeta sa cigarette, remit son casque et partit. L'adjudant Maurat soupira. Debout à côté de sa moto, il donna un coup de pieds dans un caillou. L'action lui manquait et il se demandait s'il parviendrait à se faire à cet endroit. Peut-être était-ce un peu préjuger après seulement trois jours. Il fut subitement tiré de sa rêverie par un bruit de moteur au loin. Il eut juste le temps de prendre ses jumelles. Le bruit se rapprochait puis vint la lueur des phares. Une Volksvagen Polo passa à une vitesse avoisinant les cent trente kilomètres à l'heure.
- Voilà un client ! Pensa Maurat tout en mettant son casque et en enfourchant sa moto. Il lança les gyrophares et démarra en trombe. La voiture roulait toujours à très vive allure sans se soucier des éventuels arrivants depuis les perpendiculaires. Au bout de trois kilomètres, il arriva à la hauteur de la voiture. Le conducteur du véhicule dut remarquer les gyrophares car il commença à rétrograder et finit par se ranger sur le bas-côté.
L'adjudant Maurat s'arrêta une dizaine de mètres derrière la volksvagen. Il mit la béquille et s'approcha prudemment du véhicule. Il regrettait subitement d'avoir renvoyé Lavrot, ils devaient toujours être deux dans ce genre de situation, mais il ne pouvait pas non plus laisser filer un client pareil. Le véhicule avait coupé le contact, mais ses phares, toujours allumés, éclairaient une rangée d'arbre vingt mètres plus loin. Maurat sortit sa lampe torche et en éclairait le véhicule à mesure qu'il s'en approchait. À ce qu'il pouvait en juger, la voiture ne contenait pas de passagers. La main sur son holster, il arriva au niveau de la portière conducteur et fit signe à son occupant de baisser la vitre.

dimanche 24 octobre 2010

Manifeste de l'Interaction


Voici une réflexion à laquelle j'invite tout le monde à adhérer. Je pense que l'art majeur du XXIe siècle est là sous nos yeux et que personne ne fait rien pour exploiter ses formidables possibilités.



MANIFESTE DE L'INTERACTION





Le cinéma a mis une vingtaine d'années pour que de simple prouesse technique, simple divertissement, il commence à s'interroger sur lui-même et à vouloir se donner une signification, à commencer à délivrer un message, à se poser en œuvre.

Il est temps que cette révolution advienne pour un media jusqu'à aujourd'hui trop mal considéré au regard des perspectives artistiques et narratives qu'il peut apporter.

Il faut bien évidemment repenser la manière de transmettre des idées, tout comme on n'a pas pu transposer tel quel le système narratif de la littérature au cinéma, bien que le théâtre eut toujours été comme une passerelle dans laquelle le cinéma est venu naturellement puiser à ses débuts. Au même titre que le théâtre filmé est une impasse pour le cinéma, le cinéma vaguement interactif en est une pour l'art interactif.

Les medias interactifs offrent une possibilité qui n'a jamais été offerte par aucune autre forme d'art, hormis par le théâtre, mais alors dans une mesure strictement limitée au ressenti de l'acteur.

Les medias interactifs permettent de briser la frontière entre acteur et spectateur. Il ne reste plus qu'un narrateur, plus ou moins distant, qui s'apparente plus à un préparateur, un "metteur en scène".

Sentir son empreinte sur un monde, constater les conséquences et les bouleversements produits par nos actes mais avec l'assurance que, comme dans un rêve, lorsque l'on se réveille, tout est resté dans cet autre monde, voilà ce que permettent les médias interactifs sans jamais avoir tenu leur promesse jusqu'à aujourd'hui à de rares exceptions près.

Ce média a la possibilité de faire mentir l'adage qui dit que l'expérience ne se transmet pas.

Se mettre à la place de l'autre. Voilà ce qu'offre ce média. Privilège rare, intense qui n'était offert jusqu'à présent qu'au seul comédien.

Au niveau artistique et conceptuel, l'idée de mettre la personne au centre de l'œuvre, qu'elle ressente, qu'elle vive l'œuvre promet des perspectives formidables.

D'un point de vue sociologique et notamment de celui d'une réflexion sur la morale que peut apporter ce média, la possibilité de créer des mondes entiers, où une communauté d'acteurs, individus, se réunit pour interagir avec ce monde offre des possibilités fantastiques.

Jusqu'à aujourd'hui, la technique a posé beaucoup de limites, mais même aujourd'hui, les concepteurs ne sont pas encore des créateurs, ils semblent comme effrayés par les possibilités de leur travail et ne vont pas jusqu'au bout des choses. Les seules interactions aujourd'hui proposées par les médias interactifs relèvent du saupoudrage et ne brillent que par leur absence de conséquence.
Le créateur de l'Interaction est le seul créateur artistique à avoir la possibilité de mettre le destinataire de son œuvre dans une position de choix réel et de développer avec lui, au travers de sa création, les conséquences de ses choix. Cette possibilité a été trop longtemps négligée et inexploitée par les concepteurs qui, de techniciens, doivent devenir artistes.

Pour que le media interactif puisse enfin prétendre au statut d'œuvre, des règles sont à respecter :

- Exploiter sérieusement cet atout immense qui est celui de mettre le destinataire de l'œuvre face à des choix. Ces choix doivent être significatifs et influer directement sur le devenir de l'expérience.

- Bannir de l'expérience tout retour en arrière. Chaque choix fait par l'acteur (qui n'est plus un simple spectateur) doit être définitif et influer sur son expérience comme les choix le font dans la vie réelle.

- Ne plus banaliser la mort. Il ne faut plus priver de toute importance la mort rencontrée au cours de l'expérience. Si une réflexion morale doit intervenir par l'interaction, il faut que la mort retrouve une place plus sérieuse. L'acteur ne peut plus la rencontrer virtuellement sans ne subir aucune conséquence.
A ce titre, la plupart des concepts créés portant sur le thème de la guerre ridiculisent ce thème pourtant si profond en un jeu de ballon prisonnier

- Laisser à la communauté des acteurs, comme à la communauté des hommes la liberté de décider ce qui est acceptable de ce qui est inacceptable. Aucune réflexion sur la morale ne peut être tentée, si par avance, le créateur bride les possibilité de son monde et fixe, par avance, ce qui est bon ou mauvais. Ce doit être aux acteurs une fois à l'intérieur de l'oeuvre de décider ce qui est acceptable moralement et ce qui ne l'est pas et d'essayer d'empêcher la reproduction des comportements jugés inacceptables.
De cette seule façon, démocratique, l'acteur pourra développer et définir la société qui lui correspond, même si cette société est limitée au monde créé par le créateur.

- l'acteur ne doit pas avoir plus d'information sur son état dans l'oeuvre que n'en a une personne dans la vie. Aucun indicateur a priori ne doit lui donner des informations sur sa situation, à moins qu'il ne les trouve dans l'œuvre.



A Paris, le 2 janvier 2010


Pierre BOURBON

samedi 16 octobre 2010

Vous ne savez pas qui je suis (2/3)


Après un léger temps, le conducteur apparut derrière le verre teinté qui s'abaissa dans un bruit électrique. L'adjudant inspecta rapidement l'intérieur du véhicule avec sa lampe. Le conducteur était bien seul. C'était un homme d'une vingtaine d'année au crâne rasé. Il était enveloppé d'une sorte d'imperméable en cuir peu épais. Ses mains, gantées de noir reposaient sur le volant. Il portait des lunettes à grosses montures noires et regardait droit devant lui, agissant comme s'il n'avait pas remarqué le gendarme.
- Bonsoir Monsieur. Savez-vous à quelle vitesse vous rouliez ?
"Bonsoir Monsieur" ? Il avait de plus en plus de mal avec ce formalisme verbal alors qu'il en aurait volontiers coller une à cet inconscient.
L'homme ne tourna pas plus le visage vers l'adjudant qu'il n'ouvrit la bouche. Maurat prit un ton plus ferme :
- Permis de conduire. Papiers du véhicule.
Après un léger temps, l'homme ouvrit doucement la boîte à gants sans mot dire, il en tira une pochette qu'il tendit à Maurat sans même le regarder. Il découvrit légèrement son avant-bras lorsqu'il s'exécuta laissant entrevoir un petit tatouage circulaire sous son poignet.
L'adjudant examina les papiers du véhicule et le permis de conduire de l'homme. Il s'appelait Julien Syrna, il était né à Chastel Nouvel et avait vingt-cinq ans. Sur la photo du permis de conduire, il avait l'air d'un gamin sérieux et renfermé, presque sinistre. Les papiers de la volksvagen étaient en règle.
- Sortez du véhicule, Monsieur.
L'homme ne bougea pas. Sans le regarder, il dit :
- Vous ne savez pas ce que vous faites.
L'adjudant commençait à s'échauffer :
- Je vous demande pardon ? Sortez du véhicule immédiatement !
L'homme tourna la tête et regarda subitement l'adjudant dans les yeux. Son visage était inexpressif et son regard froid réussit presque à le mettre mal à l'aise. L'homme sortit du véhicule et se tint debout devant sa portière ouverte. Il lui arrivait péniblement au menton. Maurat se trouva lui-même ridicule d'avoir été décontenancé par un tel nabot.
- Est ce que vous avez consommé de l'alcool ou autre substance stupéfiante ? Il savait, rien qu'à le voir que le type était net. L'homme le regardait dans les yeux sans piper mot, sûr de lui, il restait là sans rien dire.
L'adjudant sortit son alcootest.
- Monsieur, soufflez là-dedans s'il vous plaît. Il approcha l'appareil de l'homme qui souffla. Comme prévu, il n'avait rien bu. Maurat sortit son bloc de contraventions tout en expliquant la situation :
- Le test est négatif, mais vous n'allez pas échapper à l'amende. Vous rouliez à cent vingt-cinq kilomètres à l'heure alors que la vitesse sur cette route nationale est limitée à quatre-vingt-dix.
- Vous faites une erreur. Vous ne savez pas qui je suis, répondit l'homme sur un ton presque désolé.
Maurat savait que cela ne valait pas la peine de s'énerver pour ce genre de jeune abruti.
- L'erreur, Monsieur, c'est vous qui venez de la commettre, et vous feriez mieux de vous taire si vous ne voulez pas aggraver votre cas. L'adjudant émit cette menace en sachant qu'il ne pourrait pas faire grand chose. La procédure exigeait qu'ils soient au moins deux dans ce genre de situation. Il ne pouvait pas prendre le risque de le mettre en garde-à-vue et d'appeler une voiture pour que des collègues viennent le chercher. L'adjudant finit de rédiger le procès-verbal et le lui tendit. L'homme remonta dans son véhicule et ferma la portière. Il mit le contact. La fenêtre conducteur était toujours ouverte :
- Je vous aurais prévenu lâcha-t-il avant de démarrer et de disparaître sur la route.
L'adjudant resta un instant à considérer ce qui venait de se passer.
- Quel sale type pensa-t-il, encore un jeune con qui se prend pour Dieu le père. Il soupira en repensant à son ancienne vie dans le Nord. Le cri d'un hibou  dans les arbres derrière-lui le tira bien vite de sa rêverie. Son service était à présent terminé. Maurat enfourcha sa moto et reprit la direction de la gendarmerie. Il rangea sa moto au garage, alla se changer au vestiaire et ressortit en vêtements civils sur le coup des vingt-trois heures. Il avait hâte d'aller dormir, aussi, il marcha d'un pas pressé vers la chambre d'hôte dans laquelle il logeait depuis qu'il était arrivé.

samedi 9 octobre 2010

Vous ne savez pas qui je suis (3/3)

Le lendemain matin, il arriva à la gendarmerie à sept heures. Au vestiaire, le maréchal des logis Gaultier semblait l'attendre. Ils se saluèrent. Gaultier, qu'il n'avait vu que deux fois depuis son affectation lui avait semblé être un homme chaleureux et débonnaire. Il avait l'air aujourd'hui profondément troublé par quelque chose. Il s'exprima avec une légère tristesse dans la voix.
- Maurat ! Je vous attendais. Je… Je suis désolé, mais le colonel tient à vous voir tout de suite dans son bureau. C'est très urgent, allez-y immédiatement, ne prenez pas la peine de mettre votre uniforme.
Maurat, quelque peu intrigué, s'exécuta sur le champ. Il grimpa les deux étages qui le séparaient du bureau du colonel sans croiser aucun collègue. La porte était ouverte, il était assis derrière son bureau, deux gendarmes, habillés en civil, se tenaient dans un coin de la pièce. L'adjudant frappa doucement à la porte déjà ouverte afin de signifier sa présence au colonel.
- Ah! Maurat ! Entrez ! Entrez ! Asseyez-vous, je vous en prie.
L'adjudant entra en refermant la porte et s'assit sur un fauteuil en face de lui. Le colonel était un homme grand et sec d'apparence, il avait une cinquantaine d'année. Ses cheveux blancs coupés courts avaient fui le sommet de son crâne. Ses yeux bleu acier ne se fixaient sur aucun élément de la pièce aujourd'hui, et encore moins sur ceux de l'adjudant Maurat. Le colonel semblait agité, il se tortillait sur sa chaise, parlant d'une voix gênée. Il ouvrit une jolie petite boîte en bois sculpté qui contenait des cigarettes et l'approcha de Maurat d'un geste.
- Vous fumez Maurat ? Une cigarette ? L'adjudant fit non de la tête. Cela ne vous dérange pas si je fume ? Il réitéra son geste. Le colonel prit une cigarette qu'il porta à sa bouche et qu'il alluma. Il tira plusieurs bouffées convulsivement tout en s'adressant à Maurat :
- Tout ceci est sincèrement regrettable. Vous comprenez, Nous aurions dû vous prévenir, vous mettre au courant, mais qui aurait pu prévoir que cela arriverait maintenant, alors que vous venez à peine d'arriver ? Hein ? Vraiment, nous ne pouvions pas savoir.
Pourtant, je m'en veux, j'aurais dû vous avertir de cette règle. Lavrot aurait dû vous le dire, lui aussi. Enfin, il est jeune, et puis il vient de devenir papa, n'est-ce pas ? Alors, nous n'allons pas l'embêter avec cela.
Maurat commençait à comprendre, le colonel voulait sans nul doute le rappeler à l'ordre pour avoir laisser partir Lavrot la veille. Cela expliquait leur gêne. Il savait qu'il ne pouvait risquer grand chose pour cela, et puis, le colonel avait l'air désolé, il semblait vouloir s'excuser à chaque phrase. Lavrot avait dû en parler ce matin en arrivant, voilà pourquoi tout le monde était déjà au courant.
- Vraiment Maurat, vous m'avez mis dans une situation difficile… Vous avez tout l'air d'être un élément brillant, et vraiment, je puis vous assurer que j'ai fait le maximum pour plaider en votre faveur, mais c'est la règle. Je suis sincèrement désolé. Le colonel le regarda de manière paternelle :
- Mais qu’avez-vous fait mon jeune ami ? Vous comprenez, nous ne pouvons plus rien faire pour vous à présent, nous ne pouvons risquer de nous les mettre à dos. Nous ne pourrions tout simplement pas résister contre eux !
Maurat ne comprenait plus et commençait à devenir anxieux devant le ton du colonel. Etait-ce une blague pour les nouveaux venus ? Une sorte de bizutage ?
- Que voulez-vous dire mon colonel ? De qui parlez-vous ?
Le colonel fit un signe de tête aux deux gendarmes en civil qui attendaient dans un coin. Ils s'approchèrent rapidement de Maurat, le saisirent et lui passèrent les menottes sans qu'il ait eu le temps de réagir. Ils le maintenaient de leurs bras puissants sur sa chaise, l'adjudant ne pouvait plus bouger. Maurat, paniqué se mit à crier :
- Mais ! Vous êtes fous ! Arrêtez ! Qu'est-ce qui vous prends ! ? Pourquoi  vous faites…
Le colonel le coupa :
- Espèce de foutu salopard ! Dans quelle putain de situation vous nous avez mis ! Vous croyez que ça m'amuse de faire ce que je dois faire ! Moins je les côtoie, et mieux je me porte ! Et vous, même pas arrivé depuis trois jours, vous… Oh ! Vous croyez que ça me fait plaisir de faire ça ? Vous vous seriez plu pourtant ici Maurat, si vous n'aviez pas joué au con. On se faisait une joie de vous accueillir parmi nous ! Mais non ! Monsieur a dû jouer au plus malin. Ah ! Mon gaillard, je n'aimerais pas être à votre place à présent.
- Mais… Mais mon colonel… Je ne comprends pas…
Le téléphone sonna. Le colonel fit signe à l'adjudant de se taire et décrocha. Désemparé, l'adjudant se tut, le sens de la hiérarchie ne l'ayant pas encore quitté.
- Oui.
Maurat ne réussissait à entendre que le grésillement de la voix.
- Ah ! Il est arrivé ?
- Bien bien, nous l'attendons. Le colonel raccrocha et s'adressa à l'adjudant :
- Voilà Maurat. Tout sera bientôt terminé. Le colonel s'était calmé. Je suis sincèrement désolé. Je vous assure... Si je pouvais faire quoi que ce soit, croyez bien que… Je suis désolé que cela finisse comme ça. Croyez-moi. Mais nous ne pouvons simplement pas faire autrement, nous ne pouvons pas risquer de les contrarier.
Il marqua une pause et s'adressa aux deux gendarmes en civil :
- Bâillonnez-le, je ne veux pas qu'il fasse du scandale quand l'autre sera là.
Les deux hommes s'exécutèrent.
On frappa deux coups secs à la porte.
- Entrez ! Cria le colonel.
Un homme au crâne rasé vêtu d'un imperméable en cuir entra. C'était l'homme que l'adjudant avait arrêté la veille au soir. Maurat fut saisi d'effroi. Le colonel fit un grand sourire à l'homme et s'adressa à lui d'un ton étrangement affable :
- Monsieur ! Quel plaisir ! Nous sommes absolument désolés pour le désagrément que nous vous avons causé. Nous vous prions de bien vouloir nous pardonner. Ce genre de chose ne se reproduira plus, nous pouvons vous le garantir. Est-ce bien l'homme qui vous a importuné ?
L'homme regarda un instant l'adjudant.
- Oui, c'est bien lui.
- Ah ! Parfait ! Mes hommes vont vous l'emballer et vous le descendront jusqu'à votre voiture. J'espère que cela sera suffisant pour vous dédommager, cher Monsieur.
- Cela ira, pour cette fois.
Le colonel fit un nouveau signe aux deux hommes qui se tenaient derrière Maurat. L'un d'eux saisit une matraque et lui en asséna un coup sur la nuque. Maurat perdit connaissance. Les deux hommes entravèrent aussi ses chevilles et le mirent dans un sac de toile. Le colonel se précipita pour ouvrir la porte à l'homme.
- Au revoir, cher Monsieur, et bonne route !
- Je l'avais pourtant prévenu, dit-il doucement, presque pour lui-même.
L'homme sortit, suivi des deux autres qui portaient le corps de l'adjudant.
Le colonel demeura seul dans son bureau. Il retourna s'asseoir dans son fauteuil. Il sortit un mouchoir et s'en essuya le visage. Il ouvrit sa petite boîte en bois et prit une cigarette qu'il alluma. Il en tira deux longues bouffées qu'il recracha en observant à chaque fois la fumée se dissiper dans l'air.
- Foutu salopard!
Il considéra ainsi encore deux ou trois volutes.
- Pauvre type quand même…

lundi 6 septembre 2010

Et maintenant, qu'est ce qu'on fait ?

Voilà, ça y est, j'ai effacé tout ce que j'avais publié jusqu'à maintenant.
Pourquoi cette pulsion autodestructrice ? La forme ne convient pas.

Je suis auteur. J'écris. Je n'ai pas de photos, d'images, de videos ou rien d'autre pour rendre ce site attrayant.

Comment partager ici des nouvelles de cinq pages et plus sans que cela ne soit illisible alors qu'elles ne se prêtent pas vraiment à la découpe ?


Bon je vais essayer, on verra bien ce que ça donne...