Maria Pueblos
de Nadar était alors une jeune journaliste. Après quelques stages dans des
journaux locaux ainsi qu'à la radio, elle avait écrit dans des hebdomadaires avant
de finalement être engagée dans un grand quotidien national. Cela faisait
quelques mois à peine qu'elle avait pris ses fonctions et certains vieux
briscards du journalisme, ceux qui, par leur plume, avaient fait la renommé du
journal, la considéraient encore un peu comme une jolie gamine. Elle souhaitait
vivement leur prouver tout son talent et détestait le fait de ne pas être prise
complètement au sérieux.
Cet entretien
exclusif avec le grand professeur Mariani était donc très important pour elle.
Le rédacteur en chef, Monsieur Renoldi était un homme fin et perspicace. Il
avait su percevoir le talent de cette jeune femme et avait décidé de lui donner
sa chance, confiant à elle seule cet entrevue avec le prix Nobel de biologie.
Le professeur
Mariani était un original, une sorte de professeur Nimbus, un vrai mystère
ambulant. Même ceux qui avaient toujours travaillé avec lui le qualifiaient au
mieux d'excentrique. Il avait d'abord fait la fierté de toute la nation grâce à
ses travaux exceptionnels en génétique qui lui avaient valu rien moins que le
prix Nobel et puis brusquement, provoquant la consternation générale, il avait
annoncé lors de la remise du prix qu'il arrêtait complètement toute activité
scientifique. Lui ? Le génie, l'Albert Einstein de la génétique et de la
biologie moléculaire, à cinquante ans à peine, juste au moment du couronnement,
décidait subitement de tout abandonner, de se retirer dans sa maison du lac de
Côme comme un vieil ermite ? Ce n’était pas pensable. Il avait accepté son
prix en faisant cette simple déclaration sans s'expliquer et n'avait fait
depuis aucun commentaire, se refusant à toute allocution. Il n'avait jamais
expliqué son geste, et voilà que plus de six mois après avoir décidé de se
retirer du monde, il consentait enfin à s'exprimer. Il consentait enfin à
recevoir la presse et ce serait Maria, et elle seule, qui pourrait recueillir
finalement, l'explication que le monde entier attendait.
Cette nouvelle
avait fait grand bruit, bien au-delà des cercles scientifiques, surtout dans
notre pays. Tout le monde s'était perdu en conjectures pour expliquer son geste
et on ne comptait plus, à l'époque, les émissions consacrées à cette histoire
avec leurs lots de soi-disant experts exposant leurs théories toutes plus
rocambolesques les unes que les autres sur les raisons de son geste.
Maria ne
voulait rien laisser au hasard. Le rendez-vous était fixé avec le professeur et
elle n'avait que quelques jours pour se préparer. A peine la joie retombée et
les remerciements faits à son rédacteur en chef pour la confiance qu'il lui
témoignait, elle fit le maximum de recherches sur l'homme qu'elle allait
rencontrer.
Le professeur
Mariani avait été le premier scientifique à réussir l'exploit de faire revivre
une espèce animale disparue, ce qui lui avait valu le prestigieux prix Nobel.
En l'occurrence, il s'agissait d'un oiseau que l'on trouvait autrefois dans la
forêt amazonienne.
Toujours désireuse de
n'attirer l'attention que par son talent, elle choisit une tenue discrète et le
jour convenu, de Milan, elle prit le train jusqu'à Côme. Arrivée sur les rives
du lac, un taxi la conduisit jusqu'à la demeure du professeur qui l'attendait
en ce début d'après-midi. La villa de style néo-classique dominait le lac. Un
domestique lui ouvrit la porte et l'invita à entrer. On la fit attendre dans un
grand salon décoré avec goût pendant qu'on annonçait son arrivée au maître des
lieux. Au milieu du mobilier ancien, plusieurs toiles. Son regard s’attarda sur
des ruines antiques, une marine, un jeune couple enlacé dans un sous-bois lui
rappelant le style de Boucher. Son attention fut attirée par le cliquetis d'une
horloge ancienne décorée d'un épisode mythologique, sans doute Hercule qui
terrassait le sanglier d'Erymante. Elle n’aurait pas imaginé que le professeur
fut si sensible à la beauté artistique. Le domestique revint la chercher. Ils
traversèrent quelques pièces meublées dans le même esprit et il l'introduisit
auprès du professeur. Celui-ci était installé sur un grand balcon, à l'ombre de
plantes luxuriantes, contemplant la vue sur le lac. Il la fit s'installer dans
un fauteuil près de lui. Elle sortit un magnétophone, lui demandant si cela ne
le dérangeait pas que leur conversation soit enregistrée.