lundi 19 septembre 2011

Le chant des oiseaux (1/3)

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Maria Pueblos de Nadar était alors une jeune journaliste. Après quelques stages dans des journaux locaux ainsi qu'à la radio, elle avait écrit dans des hebdomadaires avant de finalement être engagée dans un grand quotidien national. Cela faisait quelques mois à peine qu'elle avait pris ses fonctions et certains vieux briscards du journalisme, ceux qui, par leur plume, avaient fait la renommé du journal, la considéraient encore un peu comme une jolie gamine. Elle souhaitait vivement leur prouver tout son talent et détestait le fait de ne pas être prise complètement au sérieux.
Cet entretien exclusif avec le grand professeur Mariani était donc très important pour elle. Le rédacteur en chef, Monsieur Renoldi était un homme fin et perspicace. Il avait su percevoir le talent de cette jeune femme et avait décidé de lui donner sa chance, confiant à elle seule cet entrevue avec le prix Nobel de biologie.
Le professeur Mariani était un original, une sorte de professeur Nimbus, un vrai mystère ambulant. Même ceux qui avaient toujours travaillé avec lui le qualifiaient au mieux d'excentrique. Il avait d'abord fait la fierté de toute la nation grâce à ses travaux exceptionnels en génétique qui lui avaient valu rien moins que le prix Nobel et puis brusquement, provoquant la consternation générale, il avait annoncé lors de la remise du prix qu'il arrêtait complètement toute activité scientifique. Lui ? Le génie, l'Albert Einstein de la génétique et de la biologie moléculaire, à cinquante ans à peine, juste au moment du couronnement, décidait subitement de tout abandonner, de se retirer dans sa maison du lac de Côme comme un vieil ermite ? Ce n’était pas pensable. Il avait accepté son prix en faisant cette simple déclaration sans s'expliquer et n'avait fait depuis aucun commentaire, se refusant à toute allocution. Il n'avait jamais expliqué son geste, et voilà que plus de six mois après avoir décidé de se retirer du monde, il consentait enfin à s'exprimer. Il consentait enfin à recevoir la presse et ce serait Maria, et elle seule, qui pourrait recueillir finalement, l'explication que le monde entier attendait.
Cette nouvelle avait fait grand bruit, bien au-delà des cercles scientifiques, surtout dans notre pays. Tout le monde s'était perdu en conjectures pour expliquer son geste et on ne comptait plus, à l'époque, les émissions consacrées à cette histoire avec leurs lots de soi-disant experts exposant leurs théories toutes plus rocambolesques les unes que les autres sur les raisons de son geste.
Maria ne voulait rien laisser au hasard. Le rendez-vous était fixé avec le professeur et elle n'avait que quelques jours pour se préparer. A peine la joie retombée et les remerciements faits à son rédacteur en chef pour la confiance qu'il lui témoignait, elle fit le maximum de recherches sur l'homme qu'elle allait rencontrer.
Le professeur Mariani avait été le premier scientifique à réussir l'exploit de faire revivre une espèce animale disparue, ce qui lui avait valu le prestigieux prix Nobel. En l'occurrence, il s'agissait d'un oiseau que l'on trouvait autrefois dans la forêt amazonienne.
Toujours désireuse de n'attirer l'attention que par son talent, elle choisit une tenue discrète et le jour convenu, de Milan, elle prit le train jusqu'à Côme. Arrivée sur les rives du lac, un taxi la conduisit jusqu'à la demeure du professeur qui l'attendait en ce début d'après-midi. La villa de style néo-classique dominait le lac. Un domestique lui ouvrit la porte et l'invita à entrer. On la fit attendre dans un grand salon décoré avec goût pendant qu'on annonçait son arrivée au maître des lieux. Au milieu du mobilier ancien, plusieurs toiles. Son regard s’attarda sur des ruines antiques, une marine, un jeune couple enlacé dans un sous-bois lui rappelant le style de Boucher. Son attention fut attirée par le cliquetis d'une horloge ancienne décorée d'un épisode mythologique, sans doute Hercule qui terrassait le sanglier d'Erymante. Elle n’aurait pas imaginé que le professeur fut si sensible à la beauté artistique. Le domestique revint la chercher. Ils traversèrent quelques pièces meublées dans le même esprit et il l'introduisit auprès du professeur. Celui-ci était installé sur un grand balcon, à l'ombre de plantes luxuriantes, contemplant la vue sur le lac. Il la fit s'installer dans un fauteuil près de lui. Elle sortit un magnétophone, lui demandant si cela ne le dérangeait pas que leur conversation soit enregistrée.

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